Martin Luther King by Sylvie Laurent

Auteur:Sylvie Laurent [Laurent, Sylvie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2016-01-23T16:00:00+00:00

Les masses noires marchent sur Washington

James Baldwin n’a pas tort : malgré ses victoires et sa notoriété, King est considéré comme un pasteur sudiste menant une lutte après tout provinciale. Même si douze des dix-neuf millions de Noirs américains vivent dans le Sud, la lutte contre Jim Crow demeure un enjeu lointain y compris pour l’élite noire nordiste. Lorsqu’il enflamme la foule de Birmingham venue l’écouter en lui disant qu’après avoir subi l’histoire ils l’écrivent désormais en la faisant 19, il est encore bien seul à percevoir qu’un mouvement inéluctable et d’ampleur universelle est en marche. Le pays dans son ensemble, qui ne l’écoute que d’une oreille, n’entend pas ses appels à se réformer en profondeur, de son système économique à sa structure sociale. Cela implique bien plus que de donner le droit de vote au Noirs du Sud, même si cela est un indispensable prérequis. La nation entière doit être prise à témoin et exposée à la réalité de l’inégalité et de l’injustice qu’elle abrite. Il est donc temps, juge la SCLC, que la cause des Noirs devienne un enjeu national, qu’elle soit l’avant-garde d’un mouvement de fond de réforme sociale. Une coalition sans précédent – unissant Nord et Sud, Blancs et Noirs, radicaux et modérés – doit parvenir à imposer au gouvernement fédéral d’appliquer la loi et de faire des Américains de couleur des citoyens « de première classe ».

Dès la fin de 1963, King et ses proches envisagent une opération de grande ampleur à Washington. Le président Kennedy et son vice-président, Lyndon Johnson, se sont engagés à faire voter une loi historique mettant fin à la ségrégation. Mais cela suppose bien des tractations avec un Congrès plus que réticent et, si King veut croire à la bonne volonté du président, il doute toujours de sa détermination. Maintenir la pression est donc un impératif.

A. Philip Randolph, pionnier des manifestations massives à Washington, contacte toutes les organisations noires. Plus de vingt ans après son fait d’armes, toujours actif, il demeure persuadé de la vertu d’une telle mobilisation. King, qui a formé un comité de réflexion constitué de ses plus proches conseillers (R. Abernathy, A. Young, B. Rustin, S. Levison, C. Jones, etc.), avait également envisagé une marche populaire sur le Capitole. À condition d’être de très grande ampleur, elle pourrait marquer les esprits de tout le pays (à la différence de 1941, la télévision est désormais une arme politique) et forcer la présidence et le Congrès à adopter la loi une bonne fois pour toutes. Avec son bras droit, Bayard Rustin, toujours proche de King, Randolph associe les syndicats et la SCLC à son projet. King est d’emblée convaincu et sa détermination vient à bout des réticences de Roy Wilkins, nouveau président de la NAACP. Grâce au prestige de Randolph et à la victoire de King à Birmingham, les autres organisations acceptent de se joindre à la marche. Les groupes du nord du pays seront présents, tels la National Urban League de New York, dirigée par Whitney Young Jr., ou le CORE, représenté par James Farmer.

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